Après quelques minutes de concertation, nous décidons, Maud et moi, qu'il y a une petite chance qu'on se soient trompées et que les gens qu'on a suivis n'aient rien à voir avec les tortues. Nous attendons donc pour voir si quelqu'un n'apparaîtrait pas, par miracle, pour nous guider. Et voilà que de l'extrémité de la plage, côté bonhomme, un silhouette se détache. Un homme arpente lentement la plage, les yeux rivés au sol. Il arrive à notre hauteur. Ce n'est pas un garde nature, mais un bénévole de l'association Bwara qui protège les tortues.( Les membres de cette association accueillaient ceux qui le désiraient, jusqu'à l'année dernière, lors de leurs rondes matinales, pour les sensibiliser aux dangers qui guettent les tortues, mais ils refusent aujourd'hui d'accompagner des groupes car il y a eu trop de débordements et de personnes indélicates qui ne suivaient pas leurs conseils et causaient finalement du tort aux tortues). Nous lui demandons tout de même si nous pouvons le suivre et il accepte très gentiment.
C'est une mine de renseignements sur les tortues, qu'il a déjà étudiées dans plusieurs pays, en particulier en Amérique Centrale. Avec lui, nous découvrons les traces de pas moins de cinq émergences. La nuit a été active par ici! A chaque fois, ce sont des dizaines de bébés tortue qui se sont précipités vers la mer. Sur les cinq nids, un a été fouillé par des chiens, qui ont sans doute mangé les oeufs restant (les éclosions dans un même nid peuvent se faire en plusieurs vagues, sur 72heures). Nous trouvons aussi les restes d'un feu mal éteint autour duquel des jeunes ont dû se réunir. Cela attriste notre jeune scientifique: les éventuels nids alentours ne donneront naissance à aucune petite tortue, tuées dans l'oeuf par la chaleur. Il nous parle aussi de la dune créée par la municipalité pour protéger les riverains des inondations. Elle a été faite en mélangeant le sable de la plage avec celui de la rivière qui est trop compacte pour que les tortues puisent y creuser leurs nids. Elles sont dons obligées de les faire plus bas, plus proches de la mer, et donc moins à l'abri. De plus, des plantes non endémiques commencent à coloniser la plage et leurs racines réduisent encore l'espace de ponte. Le jeune homme reste optimiste. Il espère que des mesures vont être prises pour protéger les tortues grosse tête. Après tout,cela fait des millénaires qu'elles viennent pondre sur cette plage et elles font partie de l'identité de ce pays.
A chaque émergence découverte, il écarte délicatement le sable sur 5 à 10 centimètres de profondeur pour vérifier qu'aucune petite tortue, déjà éclose, ne s'y trouve piégée. Le sable étant foncé, il chauffe trop sous le soleil de la journée pour lui laisser un espoir de survivre jusqu'à la nuit suivante. Au deuxième nid, nous avons l'émotion de voir émerger une petite tête du sable brun. Joséphine pointe le bout de son bec.
Le fait de sentir l'air réveille ses réflexes: elle se remet à creuser et émerge totalement. Il faut se garder de la toucher: les quelques mètres qu'elle va parcourir jusqu'à la mer sont cruciaux: ils vont lui permettre de dégourdir ses pattes en prévision des milliers de km qu'elle va couvrir à la nage, et surtout de prendre ses repères GPS pour pouvoir revenir sur cette même plage pour y pondre ses premiers oeufs dans 25 ans, quand elle aura atteint sa maturité sexuelle.(s'il s'agit d'une femelle, bien sûr. Les mâles ne reviennent pas )
le voilà qui grimpe les parois de l'entonnoir créé par ses soeurs cette nuit. |
Entre elle et la mer, deux mètres de laisse-de-mer, tous les déchets accumulés par la marée. C'et là que nous pouvons intervenir: notre guide demande aux filles de déblayer le chemin devant Joséphine, ce qu'elles font avec empressement et délicatesse, à tour de rôle au fur et à mesure de la progression de la petite tortue.
Puis c'est le sable mouillé. Joséphine marche d'un bon coeur. Ses petites pattes répondent bien, la pente est douce jusqu'à la mer. Notre guide en profite pour nous faire remarquer qu'elle marche sur ses coudes, contrairement à des tortues d'espèces plus lourdes, comme la tortue luth, qui utilisent toute la patte largement étendue.
Joséphine, entre ses deux anges-gardiens. |
Tu y es presque, Jo! |
On voit en core la petite carapace sous la mousse... |